« Break the routine » : échec et réflexions

Observatoire

Observatoire sous les phares

( Cette photo n’est pas sans lien avec le post d’Anthony  1. )
Lors de la rencontre avec les habitants du quartier organisé Tour 2 hier, le dispositif que j’ai mis en place s’est révélé être un échec, comme cela avait été le cas à Campo Claro avec les dessins 2. Hier, un cahier d’expressions était mis à disposition afin de recueillir des discours sur Maurepas. La question posée restait large  » Tu penses quoi de Maurepas? », néanmoins les personnes avaient du mal à vouloir s’investir dans un espace visible comme celui du cahier. Il s’agissait pourtant de décliner le principe du « vote » qui avait été proposé à Campo Claro durant la restitution finale. En effet, j’avais là bas expérimenté la possibilité aux gens physiquement présent de s’exprimer anonymement au sujet du quartier par le biais de deux questions (posées pour deux urnes différentes). La première était « De quoi es-tu le plus fier dans ton quartier? », la seconde « Si tu souhaitais changer quelque chose dans ton quartier, de quoi s’agirait-il? ». L’expérience consistait à contourner le problème linguistique  par le biais de ces questions qui appelaient des réponses courtes (contrainte de place sur les cartons à disposition), sans non plus tomber dans le questionnaire écrit / quantitatif. Les urnes choisies se voulaient  intrigantes afin d’attirer l’attention sans être rébarbatives, et ce dans le but (toujours présent), de déconstruire à ma manière le mythe du chercheur. Ainsi, ces urnes, comme l’était le dispositif proposé au sol de définition du quartier (sur papier kraft avec feutres de couleur), avaient pour vocation d’intervenir dans l’espace public, provoquer ce que Romain appellerait sans doute une perturbation (qui, malgré ce que peut en dire Pierre, fait à mon sens parti du travail des chercheurs en sciences sociales), et dans cette perturbation de l’espace tel qu’il est habituellement perçu, proposer une réflexion (qui se fait ou ne se fait pas, qui est acceptée ou ne l’est pas), ou plus exactement un temps pour une réflexion. Au coeur de ce projet, il s’agissait aussi évidemment de proposer une restitution aux habitants de Campo Claro, et par là une vision peut-être plus englobante de nos travaux.

Ici, à Maurepas, le cahier d’expression me semblait un bon moyen d’entrer en interaction avec de nouvelles personnes, de créer un biais qui me permette de ne pas tout de suite entrer dans une prise de contact classique, mais plutôt de faire émerger d’autres types de résultats (comme ça a été le cas à Campo Claro), peut être aussi d’expérimenter les limites de la recherche telle que je l’envisage, et d’essayer de nouveaux moyens d’expressions. Malheureusement, l’espace créé n’était pas un espace privé comme je l’avais envisagé, mais plutôt un espace public puisque chacun pouvait savoir ce que les autres avaient écris (surtout pour les premiers), et puisque chacun se trouvait accompagné de ses ami-e-s (ce sont surtout les enfants qui ont écrit dans le cahier d’expression) qui lisaient simultanément ce qui s’écrivait. Je n’ai ainsi obtenu que quatre résultats, « Maurepas est un quartier super!« , « Maurepas est un quartier très sympas« , « Maurepas est un quartier chaleureux » ; et le dernier, très intéressant afin d ‘illustrer l’échec de ce dispositif : « j’aime le quartier j’aime Nolwenn et Alba il sont gentille. de la part de S…« . Cette enfant s’est servi de l’interface du cahier pour m’atteindre directement et créer un lien avec moi, comprenant que l’anonymat était impossible. Passer par l’écrit n’a donc pas semblé judicieux, de plus au coeur d’un buffet, où la nourriture tient une place toujours centrale. L’activité proposée pouvait apparaitre plus sérieuse.

Il pourrait être important de chercher une alternative intéressante aux entretiens, qui oblige le chercheur à se mettre en danger, à opérer un déplacement au coeur de sa pratique. Proposer ces alternatives permet aussi de proposer d’autres moyens d’expression. Pourtant, la possibilité de dépasser sa pratique, d’aller plus loin (comme en parlait Anthony il y a quelques jours lors d’un social drink) semble finalement plus limité chez un chercheur au niveau méthodologique. Les idées à développer dans ce protocole d’enquête qui permettrait à celui-ci d’aller plus loin justement semble assez limitées (dessins réflexifs, supports écrits comme questionnaires, entretiens, travail sur de la photo…) et vont toujours dans le même sens finalement : les supports proposées varient mais invitent à n’être que des prétextes aux entretiens, à la parole. Il est inenvisageable, en tant que sociolinguiste, d’analyser autre chose que la parole proposée c’est certain, mais cela me donne l’impression de ne pas créer de véritable déplacement dans ma pratique sur ce territoire.  C’est finalement peut-être dans les sujets de recherches, et le temps de la recherche (si court dans Expeditions) qui permet de véritables déplacements professionnels en sciences sociales?

 

  1. 1 http://expedition-s.eu/les-carnets-de-residence/aquarium-2/
  2. 2 : http://expedition-s.eu/les-carnets-de-residence/drawings-2/
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3 Commentaires pour “« Break the routine » : échec et réflexions”

  1. Pascal dit :

    Bonsoir.
    N’étant pas présent, je n’ai pas de regard et, en conséquence, pas de compréhension.
    Simplement des pistes pour réfléchir ensemble. Il m’apparaît aujourd’hui dans ma pratique de chercheur que le principal,le prioritaire, est le « moment de la rencontre ». Comment le susciter ? En prenant quelles dispositions ? En concevant quels dispositifs ? Ensuite, comme deuxième moment, réfléchir méthodologiquement à la forme du recueil de paroles, de réflexions. En deuxième temps. La rencontre pour penser ensemble. La rencontre qui fait cheminer la réflexion. La rencontre propice à un rapport réflexif à sa propre existence. Il y a là peut-être une spécificité de la recherche: La rencontre à finalité de connaissance partagée et/ou réciproque.
    Ce que j’entraperçois aussi dans ton expérience, c’est le rapport à l’écrit. L’écrit cristallise les rapports de disqualification. L’école nous fournit les codes et les normes (plus ou moins) et en même temps, concomitamment, nous empêche / nous interdit de les utiliser, de les engager dans une expérience de pensée(rapport d’intimidation). Lorsqu’on écrit à l’école c’est systématiquement dans le cadre d’un contrôle / d’une évaluation, autrement dit d’une sanction par la note. L’écrit est assimilé à la sanction. L’écrit doit donc être libéré, être apprivoisé, être vécu à nouveau compte. Les personnes ne prendront la plume que si elles se sentent en confiance, si elles sont assurées qu’elles ne seront pas disqualifiées par d’éventuelles maladresses ou imperfections orthographiques.
    Ton expérimentation n’est évidemment pas un échec. Tu éprouves des enjeux tout à fait essentiels. Les éprouver, les tenter, les expérimenter, les explorer. Tu as « pris le risque » de décaler et de reformuler ta pratique, et, en soi, voilà quelque chose d’extraordinairement précieux et fécond. Au plaisir de continuer à te lire sur ce blog. Un grand merci pour mettre ainsi en réflexion ta pratique. Tu nous incites à réfléchir. Tu nous alimentes collectivement. (Je vais voir si Michel Leiris a quelque chose à nous dire en ce domaine !). Pascal

  2. Resté-à-quai dit :

    « Ça n’est pas que je n’ai plus d’idées, mais les idées ne dansent plus pour moi ». Voilà, en substance, ce que Georges Bataille, alors sur son déclin, confiait à notre amie (…). Danser, chanter : jeux de cigales, à en croire les fourmis de la raison raisonnante, ennemies de ce qui ne trouve pas immédiatement sa justification pratique (fût-elle aberrante) et acharnées à remettre dans le droit chemin les fautifs présumés. Ne pas danser, ne pas chanter : quelle amputation, pourtant, si l’on est astreint à s’abstenir de tout ce qu’aura éliminé le rabot de l’intérêt prétendument bien compris ! Qui plus est : n’est-ce pas une idée morte qu’une idée qui ne danse ni ne chante (qui nous atteint à froid) et la plus grande part de l’effort d’un écrivain [d’un chercheur en science sociale !] tant qu’il est animé par un souffle suffisant ne doit-elle pas, au contraire, tendre par des moyens obliques voire paradoxaux à vivifier l’idée – peu importe laquelle – qu’il veut faire partager ou qui lui est ce qu’au peintre est le motif ? », Michel Leiris, « À cor et à cri », Gallimard, 1988, p. 178.

  3. Nolwenn Troël-Sauton dit :

    Oui, le moment de la rencontre, toujours. Je suis d’accord avec toi. Comment la susciter oui, et savoir que les choix faits impacteront la rencontre. Je pense que le choix de l’écrit, à Tarragona, me permettait de recueillir un discours sans être nécessairement dans des interactions qui m’échappaient en espagnol. Ici, je pense, c’était dans l’idée de proposer un dispositif pour cette première rencontre, tout en me « protégeant » toujours un peu de la rencontre brute en contexte public. Tu vois ce que je veux dire ? Parler par un biais, comme le dessin, avec un autre support pour éviter la timidité, la propre timidité du chercheur (quand le personnel rencontre le professionnel !) et conceptualiser qu’il s’agit parfois de celle des personnes interrogées !
    « La rencontre à finalité de connaissance partagée et/ou réciproque. », cette phrase me semble essentielle dans ce qu’elle résume des entretiens en une seule phrase, justement. Elle éclaire le but et le propos, elle évite de s’engluer dans de longues explications, je pense.
    Quand je parle d’échec, il ne s’agit pas d’un échec total, je considère en effet que l’expérimentation est importante. Le résultat est un échec par rapport à l’attente de départ, évidemment pas dans ce qu’elle pose comme question par rapport à nos propres pratiques. Néanmoins, je pense que l’échec n’est jamais stérile, et qu’il permet toujours une recréation, une réflexion sur les raisons de cet échec, une mise en perspective. Il soulève d’importantes questions et il peut vraiment être le point de départ d’une réflexivité. Comme justement ce rapport à l’écrit, que je pensais peut être pouvoir contourner par l’aspect anonyme (d’un dispositif qui ne l’était finalement pas). (Michel Leiris a toujours quelque chose à nous dire il semblerait !)

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