L’échappée belle

Après plus de 10 jours passés à Campo Claro , chaque membre de l’expédition se rejoint sur certaines difficultés liées au contexte de travail. L’immersion totale (même pour les Espagnoles), la durée relativement courte de notre expédition et les difficultés de communication avec les personnes rencontrées posent plusieurs problèmes. En discutant avec tous les membres de l’équipe, je me rends compte que nous sommes obligés de rester toujours en alerte, de garder un œil vigilant sur l’information que nous percevons et de réfléchir en même temps à sa qualité, à sa signification et à l’usage que nous pouvons en faire. L’expédition nous oblige à rester dans l’immédiateté de la situation. Il y a peu de temps pour la réflexion, tandis que le matériel obtenu n’est pas toujours à la hauteur des attentes. Et le temps file. Le manque de recul est un élément déterminant dans notre action, car au fond, que savons nous de la qualité de ce que nous collectons.

De mon point de vue, la seule chose dont nous sommes certains est que nous ne travaillons pas dans des conditions normales, bien qu’à des niveaux différents selon les disciplines. Dès lors, si la validité du matériel étudié et celle des actions entreprises dépendent de cette normalité, alors que cherchons-nous vraiment ? À reproduire une réalité connue, ou bien à découvrir et à décrire quelque chose de nouveau ? Or cette chose nouvelle serait au fond indescriptible dans sa totalité par les seuls outils dont nous disposons. Les protocoles d’enquête des chercheurs en sciences sociales sont prévus pour fonctionner dans un contexte maitrisé. Ils demandent un minimum de cadre pour obtenir une information valide. Le travail de Nolwenn et de David est assez significatif là-dessus. Pour les artistes, les problèmes se posent pour obtenir une autorisation d’intervention dans l’espace public. Ce sont par conséquent les lois qui régissent le territoire qui conditionnent les pratiques. Par ailleurs, l’encadrement des enfants nous oblige également à nous plier aux horaires de fonctionnement des structures, au Code du travail, aux responsabilités légales sur les personnes mineures, etc. Et je ne parle pas des demandes d’autorisation pour publier une quelconque photographie. Les conditions de travail « sauvage » rendent inutiles la moitié de nos outils.

Mais le fait de ne pas être « autorisé à » ne donne-t-il pas le véritable sens de nos expéditions ? Les touristes sont autorisés. Les journalistes sont autorisés. Les autorités sont autorisées. Nous ne sommes résolument rien de cela. C’est peut-être ici, dans ce que nous nous autorisons à faire malgré les règles qui régissent nos disciplines et l’espace institutionnel auquel nous appartenons, que se situe le biais créatif de nos expéditions.

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