Espace prétexte?
Un projet comme Expeditions ne comporte-t-il pas, en son sein même, une stigmatisation? Une bonne conscience cachée?Suite à une conversation avec Paloma, j’ai commencé à me poser sérieusement cette question, comme je l’avais déjà fait, à un degré moindre, à la suite de la résidence à Tarragone.
Mais aujourd’hui, rencontre avec une mère, A., qui m’a permis d’aller plus loin dans mes réflexions. Quand on lui présente le projet d’Alba, elle répond qu’elle a l’habitude de ce type de projet.
Voici un extrait écrit de l’entretien que nous avons fait
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A : donc y’a : j’dirai une très grosse différence / entre ça et le quartier super dangereux que : qu’on nous promet d’un point de vue extérieur /
N : (tousse) toi c’est : c’est des choses que t’as entendu sur le quartier
A : ah ouais ouais ouais
N : qui sont dites sur le quartier
A : ouais ouais le le le le quartier bah déjà euhm / l’école c’est : euh on était dans une zep maintenant ça a changé d’nom c’est des trucs à quartier prior- l’éducation prioritaire machin truc parce que ce sont des quartiers à problème (respire) / on : est on est euh / fréquemment victime d’expériences / parce que ce sont des quartiers à problèmes / comme : hm / euh : y’a quelques temps y’avait un projet avec euh : / l’autre asso là comment // comment elle s’appelle déjà euhm : le truc tier mondiste là / quart $ATD$ quart monde / qu’avait qu’avait complètement intoxiqué l’quartier / et qui qui faisait des projets moi j’suis allée voir les textes d’ATD quart monde sur le internet savoir que j’fais partie du sous prolétariat / ”loupen proletariat” en allemand ça sonne mieux quoi
N : hm
A : / parce que à l’origine ce sont des notions qui ont été lancées par les nazis le ”loupen proletariat”// donc des gens qui nous considère comme du sous prolétariat qui viennent / qui t’montent des trucs sois disant pour aider les gamins et tout l’truc et qui euh / en fait font des études sur les pauvres sous couvert / d’amener la culture la réjouissance les fêtes les machins et en fait ils euh on s’aperçoit qu’ils nous étudie comme des : rats dans un labo euh : / le tout pour euh / justement pour recueillir la parole des habitants et tout faire des vidéos pour euh / qu’ils vont revendre très cher aux institutions quoi / des trucs comme ça //donc euh ça arrive hyper fréquemment et c’est pour ça tout à l’heure avec l’histoire de projet artistique
N : ouais
A : de machin / euh comme on est un quartier tellement défavorisé / que c’est devenu / hyper banal
N : ouais
A : d’avoir des résidences d’artistes
N : hm
A : et des machins parce que c’est politiquement de venir aider les pauvres / à la limite on est plus favorisé au ni- au niveau culturel que pas mal de personnes sous prétexte qu’on est pauvre / parce que sous prétexte qu’on est $pauvre$ on est censé avoir zéro culture /
N : hm
A : c’est : c’est un truc très bête donc on veut nous apporter la culture
N : hm hm
A : sur un plateau / sans s’demander si cette culture correspond au désir des habitants // comme là bah les hm : / les trucs qu’ils font euh : /pa- par exemple l’opéra
N : c’est quoi opéra
R et A : l’opéra
N : ah oui la salle qu’on a vu l’autre jour là non
A : on nous fait des / dans l’quartier y’a la : une salle qui a dépendu du TNB et tout l’truc un p’tit auditorium / et euh : dernièrement donc y’avait des trucs c’était bien c’était une initiation à l’opéra où : on pouvait aller entendre des extraits d’opéra pour un prix euh : / euh absolument ridi- euh euh dérisoire un truc comme ça / mais c’était juste les airs // fin euh : / le truc y’avait pas l’décor pas l’intrigue pas de pas la totalité pas les costumes rien du tout
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Ici l’intégralité de l’entretien : A-blog.mov
Poser un projet sous la problématique de “Réinterroger les idées préconçues concernant les quartiers dits populaires” c’est déjà, en soi, proposer que ces quartiers soient considérés comme populaires dans les représentations collectives. Travailler sur un quartier comme celui de Maurepas peut en effet être conçu stigmatisant pour les habitants eux-même de ce quartier, qui sont (et cette femme le dit elle-même) victimes d’interventions sociales et artistiques régulières. N’y a t-il pas là, malgré toutes les précautions prises dans ce projet, n’y a-t-il pas là aussi un véritable danger de se poser au dessus du quartier dans lequel nous vivons actuellement? Elle dit plusieurs fois le mot “pauvres” et il semble intéressant qu’elle s’amuse sur les distinctions apportées entre ségrégation et stigmatisation; envisagés il me semble comme du politiquement correct. Quel est le but de venir dans ce quartier plutôt que dans un autre? A quel moment se pose la question de savoir ce que peut engendrer ce type de projet sur des habitants qui en subissent en permanence? N’y a t-il pas là également une stigmatisation, une reconnaissance des représentations collectives proposant apparemment ce quartier comme “quartier populaire”? Exprimer des représentations collectives n’est-ce pas toujours proposer en réalité une projection de ce que nous pensons des représentations des autres? Une femme ce matin me disait qu’elle n’avait jamais entendu parler du quartier de Maurepas en dehors de Maurepas. N’y a donc t-il pas là que nos propres représentations érigées en représentations collectives au vu des ressources des habitants de Maurepas?Déconstruire le mythe, oui, mais jusqu’à quel point le peut-on réellement? Et dans quel but? Jouer au superman?
Mais comme le disait justement Pierre l’autre jour, le problème réside également dans les financements qui sont accordés à ce type de projet : il semble plus que difficile d’obtenir le même type de financement sans travailler sur un quartier présenté comme stigmatisé.
Mais finalement, le territoire exploré par les équipes d’Expéditions ne sont pas seulement prétexte à une rencontre interdisciplinaires, à des déplacements de nos pratiques? A questionner des conceptions comme celles de l’espace, de l’espace public etc.? Ces résidences pourraient-elles avoir lieu dans n’importe quel espace?
Apprendre à dépasser sa propre bonne conscience, et son propre complexe de superman, ne pas savoir s’il est préférable d’accepter ne pas avoir d’impact du tout, accepter que nous soyons ici mais que nous aurions pu être ailleurs; accepter également qu’on ait envie de faire plus mais accepter dans le même temps que cette envie vienne d’un besoin égocentrique. Parce que finalement, le travail qui s’effectue ici est toujours en mouvement oui, dans l’espace public (ou privé des habitants) il est vrai, mais finalement il semble que ce soit l’équipe qui en tirent le plus de bénéfices. Mais n’est-ce qu’une impression? Et quand bien même, cela serait-il un problème?