No-thing – partie 1 : circuler entre contrainte et contexte

Mon travail sur les objets a commencé à prendre un tour qui me semble intéressant, à l’occasion de la mise en place d’un petit dispositif matinal. Je vais essayer dans cette première partie d’en planter rapidement le décor et les intentions, avant de revenir dans un prochain post sur ce que le dispositif m’a permis d’entrevoir.

1. Partir des objets

Un des objectifs de ma résidence ici est d’expérimenter une approche méthodologique consistant à prendre “les objets” – le terme reste volontairement vague – comme point de départ et comme fil conducteur de l’exploration d’un univers social.

L’idée est, d’une part, d’interroger l’épaisseur sociale des “choses” les plus ordinaires – les relations humaines dans lesquelles elles sont prises, les valeurs qu’elles peuvent servir à représenter, les opérations dont elles témoignent, etc.

D’autre part, il s’agit d’utiliser la contrainte méthodologique – ici donc, la contrainte de garder l’attention focalisée sur les objets – comme un moyen de s’imposer des parcours, de découvrir potentiellement de nouveaux espaces, dans une démarche comparable par exemple au travail d’auto-contrainte que pouvaient s’imposer les écrivains OuLiPiens.

Enfin, cette attention aux objets est une manière de jouer le jeu – ironique – de la forme “expédition scientifique” que se donne le projet : s’inspirer des inventaires, des collections que pouvaient constituer les premiers missionnaires et ethnographes, et interroger à leur aune nos manières actuelles de produire de la connaissance, tout particulièrement de la connaissance sur les “milieux populaires”.

2. Esthétique autochtone

Dans le  “Manuel d’ethnographie” de Marcel Mauss, que j’ai donc pris comme livre de chevet, on trouve à de nombreuses reprises la recommandation d’inventorier et de collectionner largement les objets, sans préjuger de leur intérêt. Par exemple lorsqu’il est question d’explorer les phénomènes esthétiques d’une société donnée :

“L’étude de l’esthétique consistera pour une grande part dans la simple collection d’objets. On recueillera tout, y compris ce qui est facile à recueillir (…).”
M. Mauss, Manuel d’ethnographie, (1947) 2002, p. 130.

Et s’il faut ainsi, pour M. Mauss, “tout recueillir”, c’est d’abord par précaution : pour éviter que les valeurs esthétiques de l’explorateur ne viennent sur-déterminer l’organisation indigène des objets et des valeurs. Pour éviter de savoir ce qui est “beau” à la place de ceux que l’on croise. L’explorateur doit se méfier de sa propre manière de construire la valeur des choses, pour faire place à celle de ceux qu’il rencontre :

“Ce n’est pas la matière seule qui fait l’objet d’art, ce n’est pas parce qu’un objet est en marbre qu’il est un objet d’art. (…) Il faudra prendre tous les objets usuels, un par un, et demander à l’informateur s’ils sont beaux. Le sifflet est un objet d’art dans toute l’Amérique.”
Ibid. pp. 130 – 131.

Se servir donc des objets pour aller voir un social qui ne serait pas directement visible, comme ici par exemple, “la répartition de cette notion du beau” au sein de l’univers que l’on explore.

3. Avec les enfants

Au-delà de la contrainte d’une attention aux objets, et de celle de construire un lien fécond avec les méthodes des premiers temps de l’ethnologie, il y a enfin la contrainte de mener le travail l’enquête dans le contexte spécifique du dispositif pédagogique du G.P.A.S..
La recherche se fait entre enfants et pédagogues, le temps et les modalités de l’enquête s’entremêlant à ceux de l’animation périscolaire.

Une première étape de l’enquête devait donc prendre la forme d’une observation des “objets des enfants” et notamment de ceux qu’ils sont susceptibles d’avoir sur eux – avec eux – dans le contexte de cette activité périscolaire.
Ce qu’ils ont dans les poches, dans les mains, dans leurs sacs à l’heure d’entrer à l’école ou d’en sortir, dans ces moments intermédiaires entre contexte domestique et scolaire.

Hélas, depuis mon arrivée, en inventoriant de manière informelle ce que les enfants pouvaient manipuler comme objets, ce qu’ils pouvaient sortir de leurs poches ou y enfourner, je faisais le constat décevant qu’ils semblaient ne posséder et ne transporter que peu de choses. L’une avait une montre au poignet, l’autre un mouchoir roulé en boule…

Je mettais donc un certain espoir dans l’invitation qui nous était faite de participer, le matin devant l’école, à des petits déjeuners publics. Moments où les pédagogues offrent boissons et tartines aux parents et enfants qui attendent l’ouverture des classes.

Une occasion de se glisser dans le flux des déplacements quotidiens, de voir beaucoup d’enfants en même temps, d’observer d’éventuels échanges et d’entamer des conversations.
Muni d’un appareil photo, j’entreprends donc d’inventorier, avec leur accord, ce que les enfants peuvent avoir dans les poches et d’en parler rapidement avec eux, avec l’ambition d’ébaucher ainsi une collection d’images d’objets et de mini-entretiens :

À suivre…

 

 

 

 

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