Exploration : acte 1

J’ai (presque) épuisé mon capital stratégique de recherche avec mon texte d’hier matin. Pour resituer, je parlais des tactiques, objets d’improvisation et de pratiques par excellence alors même que j’avais bien mûri ma réflexion à ce sujet et très peu expérimenté la question sur le terrain! Il est donc temps de mettre en pratique cette tacticité si simple à théoriser! J’y ai très vite été amené, à vrai dire, dès l’achèvement du texte en question….

1 – la première occasion de pratiquer est donc apparue avec mon interview par Paloma et un groupe d’enfants hier matin. Savoir quand et comment s’exposer est spécialement important dans nos postures de chercheurs. J’ai accepté de jouer le jeu de l’ « exposition » et de sa médiation car il nous permettait, les enfants, Paloma et moi, de nous jouer des rôles de chacun. J’ai senti que le fait de m’interroger amusait les enfants, d’autant plus que je ne connaissais pas les questions qu’on allait me poser et que la timidité s’inversait un peu : ils contrôlaient le matériel, les orientations de la discussion et l’activité. « Qu’est-ce qu’un chercheur? », « Qu’est-ce qu’un sociologue? », « Qu’est-ce qu’un sociolinguiste? », « Qu’est-ce que tu cherches? ». Questions légitimes autant que difficiles, d’autant plus légitimes et difficiles quand elles sont posées par des enfants, par ces enfants : nos co-expéditeurs. Ma définition du sociolinguistique s’en est trouvée limitée, contextuelle et inévitablement personnelle. J’invite pendant le projet les enfants à être eux aussi des chercheurs mais ils ne sont pas dupes. Je dois donc être attentif à la fois à répondre à leurs interrogations et aux biais méthodologiques. Je suis le chercheur, j’ai un projet auquel j’essaie tactiquement d’intégrer les enfants quand bien même je me persuade qu’ils contribuent équitablement à le faire évoluer et à produire de cette manière des choses « naturelles ». Cette expérience me rappelle que c’est ce vers quoi je dois tendre. Il me rappelle également que je devrai désormais expliciter ma posture aussi clairement que possible aux moments opportuns. La question de l’insécurité et celle conséquente de la tactique se posent donc ici d’elles mêmes. Si l’épisode filmé joue sur l’ordre de l’insécurité, la réflexion présente, ouverte et publiée est-elle d’ordre tactique?

Les deux après-midi suivants (hier et aujourd’hui) ont également été riches en stratégies de part et d’autre :

2 – Hier : petite visite collective du quartier (pour notre groupe et si cette classification a du sens : deux petites filles, une maman, deux artistes et moi) durant laquelle j’ai pris soin de dessiner le parcours effectué et les moments d’arrêts, généralement liés à des interventions discursives des uns ou des autres (que j’ai vaguement prises en notes également). Le point final de cette première exploration : un petit film de Paloma à proximité de la « vague verte », cet espace vert qui apparaîtra certainement sur une prochaine carte… Question possible : qui a réellement guidé le parcours, ses pauses? Par quelles stratégies ou quelle tacticité?…

3 – Cet après-midi est le temps le plus riche pour moi. J’ai repris cette même carte et, accompagné de Paloma et Pauline du GRPAS, j’ai demandé aux enfants (quatre filles de quatre à douze ans) de re-parcourir le chemin dessiné en étant attentif à ce qu’ils (elles) participent aux décisions (la mise en mots récurrente des parcs comme points de repères privilégiés pour elles nous a ainsi obligé à faire une pause balançoire!). J’ai régulièrement posé la carte au sol en leur demandant de nous situer et de situer ce qu’elles voyaient ou connaissaient autour de nous, je crois que la mise en place du jeu a permis de légitimer la présence du dictaphone qu’elles se sont approprié facilement (ce qui n’est pas sans poser d’autres questions). Le meilleur moment durant cette ballade a cependant été pour moi le croisement imprévisible d’un autre groupe autour de Richard, de son appareil photo et de leur sujet : un « troupeau de chenilles » au bord de la route. Les retrouvailles des enfants ont notamment donné lieu à une conversation que j’ai enregistrée autour de la délimitation de l’espace et de la désignation des lieux significatifs. Un autre élément intéressant à traiter donc… Enfin, de retour au GRPAS, autour du goûter s’est posée la question des territoires de vie et de référence et des langues et pratiques linguistiques et langagières. Un moment intéressant notamment dans l’assurance ou non à aborder ce sujet pour les uns et les autres, les éléments cachés, affirmés, l’efficacité relative, dans le contexte, de l’entretien collectif et la tacticité bienvenue de Paloma, qui a fait le premier pas en mettant en avant sa pratique du ‘’castillan’’. Un dernier matériau (au sens où il est construit et matérialisé par l’enregistrement) que je suis pressé de travailler (avec les enfants ?).

Pour conclure ce texte, j’envisage pour la suite de travailler sur cette première carte avec les enfants, de l’agrandir, de la compléter, de la modifier… Il s’agit aussi de questionner ce qui n’est pas de ‘’leur’’ territoire et d’aller explorer cet ailleurs avec eux, d’y rencontrer des ‘’autres’’ qui puissent notamment parler de ‘’nous’’ (les enfants, leur/notre territoire, ou le projet) mais aussi d’eux-mêmes (les autres) et de leurs territoires. J’aimerais également questionner notre part d’ailleurs à nous participants ‘’extérieurs’’ au quartier (qui ‘’n’y habitons pas’’). J’ai aussi pris un RDV avec le gérant d’un petit restaurant rapide du quartier mercredi après-midi, j’espère l’interviewer avec les enfants, il m’a proposé d’interroger en passant des jeunes du quartier qui fréquentent son établissement. Beaucoup de perspectives donc !

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