Socio-machine 2.

J’esquisse ici un complément / exploration au dessin posté l’autre jour :

Initiée par une volonté de «réinvestir le motif de l’expédition scientifique», notre présence ici est porteuse d’interrogations. Certainement pour ceux que l’on rencontre, dans la vie desquels nous faisons irruption. Mais pour nous-mêmes aussi, renvoyés aux «archétypes» dont sont porteuses nos disciplines. Archétype avec des guillemets, car je n’adhère guère à l’idée de grands et éternels invariants, je crois plus volontiers aux sédimentations historiques, se déposant dans le temps long.
Et pour ce qui concerne les sciences sociales, ce temps long est aussi celui des complicités accumulées avec des formes successives de domination. L’histoire de l’ethnologie et de l’anthropologie est aussi celle de la colonisation (l’étude des «primitifs» et de leur «mentalité»), l’histoire de la sociologie quantitative s’ancre dans les programmes de pacification des cités ouvrières et dans l’hygiénisme du 19e siècle, et plus récemment la sociologie même la plus qualitative a largement accompagné, par exemple, les démarches de «construction de l’acceptabilité», que ce soit de nouvelles technologies, de mesures «sociales» ou de transformations urbaines.

À chacun de ces moments de leur histoire, les sciences sociales ont participé à amplifier des asymétries, à renforcer le pouvoir des uns et à accentuer l’impuissance des autres. Elles ont embaumé, dépossédé, manipulé, fiché et certainement trahi ceux qui acceptaient, bon gré mal gré, de devenir leur matière première. Elles ont pu le faire parfois par mépris pur et simple, parfois avec les meilleures intentions du monde, parfois par simple vénalité. Toujours est-il que les sciences sociales portent cette part d’ombre, faite aussi bien des fantômes du passé que des erreurs à venir. En effet, rien ne garantit en cette matière que les innovations méthodologiques, les coupures épistémologiques ni même l’expérience et la bonne volonté soient des socles sûrs. Après tout, chacun des grands coupables du passé était certainement persuadé de bien agir, de faire ce qu’il fallait faire, ce qu’il y avait de plus moderne et de plus utile…

Si l’on s’en tient à cette histoire, et donc à cette définition des sciences sociales, notre présence ici est paradoxale, et même intenable. On ne peut pas «re-jouer» l’expédition scientifique, in vivo et grandeur nature, ici, sans être en fait en train de mener une expédition scientifique, faisant des «autres» la matière première d’une expérience et de productions dont ils n’ont pas contribué à définir les enjeux, les méthodes, ni les bénéfices escomptables. Comment véritablement «réinvestir» ce modèle historique ? Comment interroger sa prégnance dans nos démarches actuelles ?

Pour jeter rapidement quelques pistes, je pense qu’il nous faut nous relier à cette autre histoire des sciences sociales, celle qui ne donne pas son titre à ce projet, qui est celle de leur volonté d’accompagner des dynamiques d’émancipation. Nous faut-il travailler, en ce sens, contre une part du projet lui-même ?
Cette «autre histoire» elle aussi a sans doutes ses erreurs et ses errements, d’infernales bonnes intentions. Mais on peut y chercher des démarches initiées à reprendre, des sources d’inspiration.
Peut-être aussi partir de cette situation dans laquelle nous nous sommes mis, et lui faire rendre tout ce qu’elle peut, en exploiter le potentiel critique, la décrire.

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Initiée par une volonté de «réinvestir le motif de l’expédition scientifique», notre présence ici est porteuse d’interrogations. Certainement pour ceux que l’on rencontre, dans la vie desquels nous faisons irruption. Mais pour nous-mêmes aussi, renvoyés aux «archétypes» dont sont porteuses nos disciplines. Archétype avec des guillemets, car je n’adhère guère à l’idée de grands et éternels invariants, je crois plus volontiers aux sédimentations historiques, se déposant dans le temps long.
Et pour ce qui concerne les sciences sociales, ce temps long est aussi celui des complicités accumulées avec des formes successives de domination. L’histoire de l’ethnologie et de l’anthropologie est aussi celle de la colonisation (l’étude des «primitifs» et de leur «mentalité»), l’histoire de la sociologie quantitative s’ancre dans les programmes de pacification des cités ouvrières et dans l’hygiénisme du 19e siècle, et plus récemment la sociologie même la plus qualitative a largement accompagné, par exemple, les démarches de «construction de l’acceptabilité», que ce soit de nouvelles technologies, de mesures «sociales» ou de transformations urbaines.

À chacun de ces moments de leur histoire, les sciences sociales ont participé à amplifier des asymétries, à renforcer le pouvoir des uns et à accentuer l’impuissance des autres. Elles ont embaumé, dépossédé, manipulé, fiché et certainement trahi ceux qui acceptaient, bon gré mal gré, de devenir leur matière première. Elles ont pu le faire parfois par mépris pur et simple, parfois avec les meilleures intentions du monde, parfois par simple vénalité. Toujours est-il que les sciences sociales portent cette part d’ombre, faite aussi bien des fantômes du passé que des erreurs à venir. En effet, rien ne garantit en cette matière que les innovations méthodologiques, les coupures épistémologiques ni même l’expérience et la bonne volonté soient des socles sûrs. Après tout, chacun des grands coupables du passé était certainement persuadé de bien agir, de faire ce qu’il fallait faire, ce qu’il y avait de plus moderne et de plus utile…

Si l’on s’en tient à cette histoire, et donc à cette définition des sciences sociales, notre présence ici est paradoxale, et même intenable. On ne peut pas «re-jouer» l’expédition scientifique, in vivo et grandeur nature, ici, sans être en fait en train de mener une expédition scientifique, faisant des «autres» la matière première d’une expérience et de productions dont ils n’ont pas contribué à définir les enjeux, les méthodes, ni les bénéfices escomptables. Comment véritablement «réinvestir» ce modèle historique ? Comment interroger sa prégnance dans nos démarches actuelles ?

Pour jeter rapidement quelques pistes, je pense qu’il nous faut nous relier à cette autre histoire des sciences sociales, celle qui ne donne pas son titre à ce projet, qui est celle de leur volonté d’accompagner des dynamiques d’émancipation. Nous faut-il travailler, en ce sens, contre une part du projet lui-même ?
Cette «autre histoire» elle aussi a sans doutes ses erreurs et ses errements, d’infernales bonnes intentions. Mais on peut y chercher des démarches initiées à reprendre, des sources d’inspiration.
Peut-être aussi partir de cette situation dans laquelle nous nous sommes mis, et lui faire rendre tout ce qu’elle peut, en exploiter le potentiel critique, la décrire.

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Initiée par une volonté de «réinvestir le motif de l’expédition scientifique», notre présence ici est porteuse d’interrogations. Certainement pour ceux que l’on rencontre, dans la vie desquels nous faisons irruption. Mais pour nous-mêmes aussi, renvoyés aux «archétypes» dont sont porteuses nos disciplines. Archétype avec des guillemets, car je n’adhère guère à l’idée de grands et éternels invariants, je crois plus volontiers aux sédimentations historiques, se déposant dans le temps long.
Et pour ce qui concerne les sciences sociales, ce temps long est aussi celui des complicités accumulées avec des formes successives de domination. L’histoire de l’ethnologie et de l’anthropologie est aussi celle de la colonisation (l’étude des «primitifs» et de leur «mentalité»), l’histoire de la sociologie quantitative s’ancre dans les programmes de pacification des cités ouvrières et dans l’hygiénisme du 19e siècle, et plus récemment la sociologie même la plus qualitative a largement accompagné, par exemple, les démarches de «construction de l’acceptabilité», que ce soit de nouvelles technologies, de mesures «sociales» ou de transformations urbaines.

À chacun de ces moments de leur histoire, les sciences sociales ont participé à amplifier des asymétries, à renforcer le pouvoir des uns et à accentuer l’impuissance des autres. Elles ont embaumé, dépossédé, manipulé, fiché et certainement trahi ceux qui acceptaient, bon gré mal gré, de devenir leur matière première. Elles ont pu le faire parfois par mépris pur et simple, parfois avec les meilleures intentions du monde, parfois par simple vénalité. Toujours est-il que les sciences sociales portent cette part d’ombre, faite aussi bien des fantômes du passé que des erreurs à venir. En effet, rien ne garantit en cette matière que les innovations méthodologiques, les coupures épistémologiques ni même l’expérience et la bonne volonté soient des socles sûrs. Après tout, chacun des grands coupables du passé était certainement persuadé de bien agir, de faire ce qu’il fallait faire, ce qu’il y avait de plus moderne et de plus utile…

Si l’on s’en tient à cette histoire, et donc à cette définition des sciences sociales, notre présence ici est paradoxale, et même intenable. On ne peut pas «re-jouer» l’expédition scientifique, in vivo et grandeur nature, ici, sans être en fait en train de mener une expédition scientifique, faisant des «autres» la matière première d’une expérience et de productions dont ils n’ont pas contribué à définir les enjeux, les méthodes, ni les bénéfices escomptables. Comment véritablement «réinvestir» ce modèle historique ? Comment interroger sa prégnance dans nos démarches actuelles ?

Pour jeter rapidement quelques pistes, je pense qu’il nous faut nous relier à cette autre histoire des sciences sociales, celle qui ne donne pas son titre à ce projet, qui est celle de leur volonté d’accompagner des dynamiques d’émancipation. Nous faut-il travailler, en ce sens, contre une part du projet lui-même ?
Cette «autre histoire» elle aussi a sans doutes ses erreurs et ses errements, d’infernales bonnes intentions. Mais on peut y chercher des démarches initiées à reprendre, des sources d’inspiration.
Peut-être aussi partir de cette situation dans laquelle nous nous sommes mis, et lui faire rendre tout ce qu’elle peut, en exploiter le potentiel critique, la décrire.

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Initiée par une volonté de «réinvestir le motif de l’expédition scientifique», notre présence ici est porteuse d’interrogations. Certainement pour ceux que l’on rencontre, dans la vie desquels nous faisons irruption. Mais pour nous-mêmes aussi, renvoyés aux «archétypes» dont sont porteuses nos disciplines. Archétype avec des guillemets, car je n’adhère guère à l’idée de grands et éternels invariants, je crois plus volontiers aux sédimentations historiques, se déposant dans le temps long.
Et pour ce qui concerne les sciences sociales, ce temps long est aussi celui des complicités accumulées avec des formes successives de domination. L’histoire de l’ethnologie et de l’anthropologie est aussi celle de la colonisation (l’étude des «primitifs» et de leur «mentalité»), l’histoire de la sociologie quantitative s’ancre dans les programmes de pacification des cités ouvrières et dans l’hygiénisme du 19e siècle, et plus récemment la sociologie même la plus qualitative a largement accompagné, par exemple, les démarches de «construction de l’acceptabilité», que ce soit de nouvelles technologies, de mesures «sociales» ou de transformations urbaines.

À chacun de ces moments de leur histoire, les sciences sociales ont participé à amplifier des asymétries, à renforcer le pouvoir des uns et à accentuer l’impuissance des autres. Elles ont embaumé, dépossédé, manipulé, fiché et certainement trahi ceux qui acceptaient, bon gré mal gré, de devenir leur matière première. Elles ont pu le faire parfois par mépris pur et simple, parfois avec les meilleures intentions du monde, parfois par simple vénalité. Toujours est-il que les sciences sociales portent cette part d’ombre, faite aussi bien des fantômes du passé que des erreurs à venir. En effet, rien ne garantit en cette matière que les innovations méthodologiques, les coupures épistémologiques ni même l’expérience et la bonne volonté soient des socles sûrs. Après tout, chacun des grands coupables du passé était certainement persuadé de bien agir, de faire ce qu’il fallait faire, ce qu’il y avait de plus moderne et de plus utile…

Si l’on s’en tient à cette histoire, et donc à cette définition des sciences sociales, notre présence ici est paradoxale, et même intenable. On ne peut pas «re-jouer» l’expédition scientifique, in vivo et grandeur nature, ici, sans être en fait en train de mener une expédition scientifique, faisant des «autres» la matière première d’une expérience et de productions dont ils n’ont pas contribué à définir les enjeux, les méthodes, ni les bénéfices escomptables. Comment véritablement «réinvestir» ce modèle historique ? Comment interroger sa prégnance dans nos démarches actuelles ?

Pour jeter rapidement quelques pistes, je pense qu’il nous faut nous relier à cette autre histoire des sciences sociales, celle qui ne donne pas son titre à ce projet, qui est celle de leur volonté d’accompagner des dynamiques d’émancipation. Nous faut-il travailler, en ce sens, contre une part du projet lui-même ?
Cette «autre histoire» elle aussi a sans doutes ses erreurs et ses errements, d’infernales bonnes intentions. Mais on peut y chercher des démarches initiées à reprendre, des sources d’inspiration.
Peut-être aussi partir de cette situation dans laquelle nous nous sommes mis, et lui faire rendre tout ce qu’elle peut, en exploiter le potentiel critique, la décrire.

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