Exploration : acte 3, intervention
Intervention : questionnements
Je n’ai rien publié hier, faute d’inspiration et de réflexion justifiant un écrit. Je pense que j’arrive à un point d’essoufflement où les observables produits (les discours enregistrés essentiellement) sont riches et pourraient (vont) constituer des matériaux d’analyse intéressants mais où il faut continuer à produire sur le terrain à partir de bribes de réflexion qui s’accumulent chaque jour à l’écoute des enregistrements et à l’observation des situations. De ce point de vue, l’expérience est intéressante. Si j’avais « prévu » pour étudier la tacticité des uns et des autres de me mettre moi-même dans une position propice au développement tactique, je ne l’avais pas envisagé de cette manière. La position est donc d’autant plus inconfortable, soit d’autant plus propice à la tactique ! La perturbation des temporalités de la recherche par la contrainte du projet est au cœur du questionnement présent. L’équipe des explorateurs a eu une discussion hier soir sur la production d’une série de cartes postales réalisées le matin même comme autant de traces de notre expérience. L’idée de distribuer dans l’espace social (à Maurepas) des productions en cours de travail ne semble pas soulever les mêmes enjeux pour nos différents domaines professionnels. La question de l’intervention est centrale dans les sciences sociales mais elle exige à mon sens une préparation et une maîtrise suffisante des significations potentielles. En l’occurrence, la contrainte de résumer mon travail non-achevé en une phrase et de distribuer cette phrase dans l’espace publique me semblait trop importante, j’ai donc choisi d’illustrer ma recherche avec ce qui est censé jouer ce rôle : la cartographie. Je pense que le choix de l’écrit peut être pertinent et intéressant mais dans ces délais, il me semble aussi risqué et exigerait une certaine maitrise du temps et des temporalités, des compétences tactiques qui sont encore à acquérir… Par contre, la dimension interventionniste, au point où en est le processus, apparaît à d’autres moments.
Intervention : éléments de réponses
La question de l’intervention apparaît d’elle-même au quotidien. Les enfants nous reconnaissent, nous connaissent. Ils identifient au moins partiellement ce sur quoi l’on travaille, se prêtent davantage au jeu et se désinhibent. Leurs discours et pratiques sont sensiblement perturbés par nos présences. Par exemple, la récurrence des questions d’espaces et de langues (qui sont au cœur de mon travail) auprès des enfants me semble produire son effet, par exemple, lorsque l’un d’entre eux, au retour du centre-ville identifie de lui-même une langue dans le bus (le mahorais) et le partage avec les autres ou lorsqu’un enfant se questionne au cours d’une activité sur le numéro de son immeuble et le repère et l’identifie le soir en rentrant. Au cours des activités avec moi, les enfants qui y ont déjà participé les présentent aux autres, s’approprient les questionnements et contribuent, peut-être à désinhiber les discours des tous, notamment sur les langues. En tous cas, les enfants sont de plus en plus à l’aise à parler de leurs pratiques et à pratiquer des langues (apparemment minorées) devant moi qu’au début du projet. Aujourd’hui, ils semblaient même enjoués à l’idée de me dire des choses dans différentes langues, de repérer des langues dans la ville ou de m’entendre m’essayer aux langues « de la maison »!
Tacticité linguistique et identitaire
J’ai ainsi pu accéder aux significations d’expressions utilisées par les enfants dans diverses langues, vraisemblablement pour ne pas qu’ « on » les comprenne. Ces expressions (les « gros mots » notamment) sont non seulement utilisées ou identifiées par les enfants dont ce sont les langues premières mais aussi souvent par leurs camarades. Les compétences linguistiques des enfants sont donc plus importantes que je ne l’envisageais. Non seulement elles concernent les ‘’langues de la maison’’ mais aussi celles des maisons de leurs amis. L’analyse que je ferai détaillera la question de la tactique. La méfiance des enfants à mon égard (à notre égard sans doute) est d’ordre tactique mais la confiance – relative – qui s’instaure aussi. Les situations dans lesquelles d’autres adultes plus ou moins connus par les enfants (un commerçant du quartier, le père d’une enfant) sont eux-mêmes identifiés comme plurilingues font également apparaître des pratiques qu’il s’agira pour moi de travailler. A l’inverse, la rencontre avec un groupe d’adolescents de villages voisins dits ruraux a laissé entrevoir une certaine timidité de part et d’autre. L’élément le plus intéressant pour moi au cours de cet échange a concerné la mise en mots des identifications de chacun. La tacticité « identitaire » des enfants, en contexte, apparait alors en filigrane et posent la question de leur tacticité plus largement discursive et de ce qu’elle nous dit sur les postulats des adultes qui les entourent. Les pratiques des enfants viennent questionner eu reflet, pour reprendre un jeu de mots célèbre, les inter-dits des adultes. Ces inter-dits (l’interdiscours) sont toutes les contraintes posées à un locuteur, dans un contexte précis, par les discours d’autrui. Le locuteur s’inscrit alors dans une historicité, dans un contexte social et spatial qui limite la marge de manœuvre de son discours. Il me semble que les pratiques des enfants viennent souvent questionner ces tendances matricielles. Je reviendrai demain sur cette idée en l’illustrant par les dernières expériences de terrain vécues (cet épisode avec des adolescents en exploration à Maurepas et deux expéditions en centre-ville)…