Collecte de questions
De quoi se munit le sociologue lorsqu’il part en expédition ? Avant tout de ses questions. Il les note dans son carnet de recherche et les consultera régulièrement. Il les réécrira souvent. Certaines deviendront insistantes et ne le quitteront plus, d’autres seront oubliées, laissés en jachère. Les questions foisonnent. Il est temps de les relier et de les regrouper. Le sociologue tente de mettre bon ordre à ce foisonnement, mais y renonce bien vite. Il réessaiera plus tard. Son carnet de recherche devient un tableau mouvant et les pages s’emplissent de flèches et de cercles, de listes et de tableaux. Le sociologue, patiemment, jardine son champ de questions.
Ses questions lui servent de compagnon de voyage, parfois de compagnon de bordée. Elles lui ouvrent la voie, lui tracent une perspective. Le sociologue leur emboîte le pas. Parfois, le questionnement attaque directement et la recherche trace droit. Mais, le plus souvent, il hésite, bifurque, prend des chemins de traverse. Le sociologue s’agace, s’impatiente. Ses propres questions l’égarent, le perdent, le laissent en plan.
Les questions sont à la fois des têtes chercheuses – elles explorent, farfouillent, furètent – et des têtes foreuses. Elles opèrent des percées et des traversées. Grâce à elles, le sociologue peut porter son regard au-delà de la réalité présente. Qu’est-ce qui se cache derrière ? Qu’est-ce qui se dessine au loin ? Qu’est-ce qui voit le jour au-delà des apparences ? Les questions traversent et transpercent les évidences. Dès que l’interstice est ouvert, dès que la porte s’entrebâille, le sociologue n’a plus qu’à s’engouffrer avant que le rideau des évidences ne retombe. Les questions représentent l’avant-garde du travail de recherche ; elles sont en pointe et agissent en franc tireur. En deuxième temps, à leur suite, les lourds bataillons conceptuels et théoriques peuvent se mettre en branle.
Pour notre projet « Expéditions », j’ai décidé de prendre le contre-pied de nos habitudes professionnelles et de m’engager sans question, libre de toute question particulière. Je vais voyager léger. Je vais donc me saisir des questions qui se présenteront, celles que d’autres auront laissées traîner et que je ramasserai, celles aussi que les enfants formuleront et me confieront. C’est avec ces questions de hasard que je me mettrai à travailler. Je posterai donc chaque jour une question sur le Blog. À la fin de chaque journée, je proposerai aussi un apéro-recherche, dans un des cafés de Maurepas, afin de partager ma récolte du jour avec qui voudra.