La vie à bord / Life on board
Je sens que le voyage d’exploration arrive à son terme. L’expédition ne s’arrête pas à Varsovie pour autant, mais elle conduit à présent vers d’autres perspectives, notamment celle qui consiste à mettre en scène la connaissance qu’enfin nous pourrons présenter dans sa forme la plus objectivante, la plus éclatante. Je n’utilise que mes sentiments, tout à fait contestables, pour tenter de donner une image de ces derniers moments de résidence. À ce stade, la question de la dernière « restitution » arrive comme pour structurer collectivement cette fin de résidence. Elle a toujours suscité une certaine pression. C’est l’un des grands rendez-vous obligatoires qui, comme le dit Dorota, met les explorateurs dans l’obligation de produire, de montrer, de manifester sa présence. À chaque fois, à Tarragona ou à Rennes comme maintenant à Varsovie, il fallait redéfinir ensemble quelque chose de commun, définir le mot « restitution », préparer une action, lui donner un sens, etc. J’ai souvent perçu dans notre équipe un sentiment de frustration et peut-être d’angoisse dû à une définition incomplète de ce qu’est la restitution, à une urgence de travail qui s’oppose à l’entière liberté de rythme et de mouvement qui est donnée aux explorateurs, à une mise en danger dans l’espace public, à une temporalité très courte et surtout du à l’exigence de qualité que les explorateurs s’imposent, notamment pour ce qu’ils ont à montrer d’eux-mêmes et ce qu’ils veulent « donner ». Nous sommes désormais une équipe éprouvée par l’expédition. Je ne sais pas à quel point l’expérience a modifié des façons de travailler ou des intentions de départ, mais je le sens.
Plusieurs mois avant le démarrage du projet, nous avons demandé à chacun une note d’intention qu’il a été parfois difficile à obtenir. Cette note d’intention n’avait pas pour fonction d’établir avec rigidité les projets d’explorations de chacun, mais d’engager l’équipe dans le travail en se posant les premières questions essentielles : quelles stratégies d’exploration de l’espace social, quel type de collaboration envisagée, quel médium envisagé, sous quel angle thématique ou problématique le territoire serait-il abordé ? J’ai souvent entendu à ce moment-là qu’il était trop tôt pour établir une stratégie, pour anticiper sur des difficultés, pour anticiper sur les collaborations, pour engager les enfants dans un travail préparatoire, etc. Je suis le premier d’ailleurs à encourager dans ma pratique le principe du détournement, de l’inopinée, de la rupture. Nous avons donc jusqu’à présent évolué dans l’expédition selon des principes d’interventions très personnels, d’une remarquable diversité. Étant à présent au cœur du projet, je me réjouis de pouvoir partager avec chacun toute la dimension réflexive d’Expéditions. Cependant, je sens également que cette longue traversée commence à peser sur notre résistance, les enjeux de nos disciplines, la raison de notre présence. Je le sens notamment lorsque nous parlons de ce que nous faisons ici, dans ce quartier de Praga, sans savoir encore quel projet d’exploration engager, quelle réalisation plastique entreprendre, quelle recherche effectuer, dans quel projet engager les enfants. Je ne peux m’empêcher d’imaginer à quoi devait ressembler l’équipage du capitaine Cook après de longs mois de navigation. Ce cap que j’essaye de tenir pendant les résidences ne nous abandonne pas pour autant, mais le chemin que nous avons emprunté et qu’il nous reste à parcourir marque/modifie les trajectoires d’explorations et met à l’épreuve les éléments du cadre du projet : les collaborations, les enfants explorateurs, l’usage du blog, les restitutions, les productions, etc. Nous en sommes certainement au point de découverte qu’il m’est actuellement impossible d’identifier. Au point où nous produisons quelque chose à notre insu. Ce moment apparemment vide où la matière se décompose pour se recomposer. Quelque chose de l’ordre de la chrysalide. |
I feel the end of expedition travel. It will don’t stop in Warsaw, but will drive us to others perspectives, in particular to stage the knowledge in a objective and glowing way. I will use my contestable feeling to try to give an image about this last moment in residency.
Actually, the question of last « restitution » appears to structure collectively this end, with some pressure. As said Dorota, it is a meeting that oblige explorers to product, show and manifest their presence. Each time, in Tarragona or Rennes also, we need to define together something collectively (like the word « restitution ») and prepare something that make sense. Often I feel a frustration, maybe some anxiety, because of the incomplete definition of what is the « restitution ». Because also a emergency to work, in opposition to the free rhythm of work given. Because a dangerous position in the public space, a small temporality, and this exigence that each explorer have for themselves : what do they want to give, to show ? We are now an experienced crew by expedition. I don’t know how this experience change are way to work, our first idea, but I feel it. Several month after the beginning of the project we ask to each other a intention notice that sometime has been difficult to obtain. This intention wasn’t to decide definitively what to do, but the aim was to involve the crew with some essential question : what strategy to explore the social space ? What technic ? What topic ? What problematic ? Often I heard that it was too early to find a strategy and to anticipate difficulties, collaborations, and involve kids. Indeed, I am the first in my artistic practice to encourage the diversion, accident and rupture. Now, we are evolving in expedition trough some varied personal and noteworthy interventions. It is very interesting. But I also feel that this long crossing attack our resistance, the stakes of our field, the reason we are here. I fell it in particular when we talk about what we are doing here, in this neighborhood of Praga, what to do, what research, what project, etc. I can imagine how was the Captain Cook’s crew after few month of navigation. This course that I try to stay during residencies is still alive, but this way that we take, and that we have to keep, mark/change our exploring trajectories, and put to the proof the frame of Expéditions : collaborations, exploring kids, using website, restitutions, productions, etc. May be we are at the discovering point that I can’t actually identified, in this point where we are producing something without our knowledge. This particular moment of decomposition and recomposition look like as a chrysalis. |